Lightning Bolt en interview"Delivering Energy."

Diffuseur
Le Drone

Date
Octobre 2016

Durée
5′

Réalisation
Adrien Durand

Résumé
En 2009, Lightning Bolt joue à Primavera, le festival indie maousse. Sur scène. Pour ceux qui ne connaissent pas le groupe cela paraît complètement anodin : un groupe noise ricain de plus mené par des anciens étudiants en art. Mais pour ceux qui suivent la doublette de Providence depuis un moment, c’est un monde qui s’écroule. Car Lightning Bolt avant toute chose c’est un geste très fort : celui d’un groupe qui s’installe à même le sol face au public.
Il n’y a plus de barrière entre les musiciens et les spectateurs, ceux-ci formant une sorte de gigantesque radeau de la méduse qui navigue vaillamment entre les cymbales qui tombent, les moshers hilares et les jacks qui s’arrachent. En passant des salons de maisons punks aux grandes scènes des festivals européens, Lightning Bolt a peu à peu porté ce set up comme un fardeau en même temps qu’il devenait une caricature de lui-même (adopté sagement par tous ses enfants plus ou moins légitimes). Un comble pour un groupe qui évite sciemment depuis ses débuts d’être réduit au carcan punk hardcore.
Si ce terme file des boutons à Brian Chippendale, la tête pensante (et masquée) du groupe, ce n’est pas totalement un hasard. Le punk américain, encore plus que son cousin européen qui fête ses 40 ans en 2016, envisagé il y a un temps comme une rébellion contre la culture de l’ère Reagan et son paternalisme conservateur n’a fait qu’écrire un nouveau dogme, appliqué à la lettre par des générations de wasps bêtes et (parfois) méchants. On se rappelle ici l’anecdote de Fugazi traumatisé par ses jeunes fans straight edge (et mormons) savatant en réunion des fumeurs à la sortie d’un de ses concerts en Utah.
Ce mastodonte punk, hardcore, blanc et macho, c’est justement un des ennemis que semble s’être désigné Lightning Bolt. Groupe sans guitare, mené par un vengeur masqué qui évoque plus le folklore mexicain et les griots africain que les tatouages d’Henry Rollins, Bolt, à sa façon à la fois insidieuse et frontale, s’attaque au système qui l’entoure avec une intelligence et une liberté qui rappellent des pères beaucoup plus recommandables, de Captain Beefheart à Sun Ra. Même si l’association peut faire peur, le groupe de Providence a finalement réussi à jeter un pont entre le metal des origines (les syncopes rythmiques sont sûrement à aller chercher dans l’écoute traumatisante de “Ride the Lightning” de Metallica par un jeune Chippendale incapable de canaliser son énergie) et le jazz malin des années 60/70, cosmique et politique. Lightning Bolt, et ses membres ne s’en cachent pas, n’est pas sorti de la cuisse de Jupiter mais d’une avant-garde qui priorise l’action sur la réflexion. C’est dans son implication physique, sonore et situationniste que le groupe prend tout son sens, et c’est en cela qu’il est un enfant naturel des Boredoms et de La Monte Young, de Fluxus, Chris Burden et de Paul Mc Carthy.
Brian Chippendale, ancien élève de la Rhode Island School of Design, et comic artist au tracé aussi abrupt que son toucher de baguette, a réussi peu à peu à construire autour de son groupe et sa musique une armure visuelle et musicale qui ne ressemble à rien ni personne. Et finalement peu importe que comme souvent dans l’underground d’autres challengers soient ceux qui récoltent les lauriers (qui a dit Dan Deacon ?). Car le tour de force du groupe américain en 20 ans et 7 albums (plus quelques cdrs, comics et jeux vidéos), c’est bien d’avoir ramené un discours dans une musique de transe et de danse dont pour une fois les uppercuts sonores ne se résument pas à l’expression d’un mal être auto-centré.
Les cris du batteur sonorisés par un micro caché dans son masque sont des cris de colère mais aussi de ralliement, mégaphone d’une manifestation symbolique menée contre un système dominant qu’il vomit (et éructe donc).
Agir autrement et vivre autrement, refuser la norme et déconstruire les présupposés inlassablement tout en créant un espace de communion physique et spirituelle, voilà probablement ce qui se cache dans la violence et la bizarrerie de la musique de Lightning Bolt. Et cela n’aura jamais été aussi vital qu’en ces temps troublés.