USé au festival "L'Épopée Born Bad"à l'occasion des 10 ans du label Born Bad

Diffuseur
France Télévisions / Culturebox

Date
2017

Durée
6′

Réalisation
Christian Beuchet

Résumé
Alors que l’on continue de presser la poire à cool du garage-rock comme si elle devait couler éternellement, les matous les plus louches du quartier sont partis boire ailleurs. Assis sur un parpaing, une bière chaude à la main, dans la pénombre d’une cave de banlieue,  ils préfèrent assister aux soubresauts malades d’une chanson française qui dégénère. Fabriquée avec du matériel de récup’ et des miettes de poésie, cette complainte des bas-fonds qui a pour artiste-étendard un Noir Boy George, et pour compagnon de galère un Jessica93, remplit régulièrement des salles minuscules et mal sonorisées, à la grande joie perverse de tous ceux que le festivisme ambiant a rendus méfiants, et qui ne sont pas exactement persuadés de vivre dans la meilleure des époques.

Quand on a appris à jouer en tripotant les instruments pour enfants des Nouvelles Galeries, faute de moyens, on accouche d’une musique bricolo qui ne mise pas sur la virtuosité, mais détourne ce dont elle s’empare, et vous tend le résultat comme un jouet déglingué imprégné de magie. Nicolas Belvalette, dit Usé, ne joue pas vraiment de la guitare, et d’ailleurs c’est à peine une guitare. Il tape dessus, répète un accord ad nauseam, colle une cymbale en zinc sur le manche, et joue six instruments en même temps. Avec Headwar, qui comprend trois autres membres pareillement versés dans les arcanes du rythme et la fonction multitâche, il pulvérise les petites étiquettes « noise », « rock » et « techno » qui nous servent à apprivoiser le bruit, pour nous ramener aux fondations du son, aux pulsations primitives qui préexistent au langage ou à la mélodie, quand les battements d’un autre cœur constituaient tout notre univers sonore, du fond de notre condition amniotique.

Nico a longtemps géré une salle de concert à Amiens, l’Accueil Froid : quand l’endroit a fermé, il s’est présenté aux élections municipales sous l’étiquette d’un parti fantaisiste, le Parti Sans Cible, et récolté 2,17% des voix. Dans la foulée, il est élu « Amiénois de l’année » par les lecteurs du Courrier Picard. L’Accueil Froid rouvre, ailleurs. Une ligne de plus dans une vie qui ressemble déjà à un roman. D’une santé vacillante, victime des accidents les plus surréalistes (lors d’un festival, il se fait rouler dessus alors qu’il dort dans sa tente), Nico n’a jamais semblé avoir de plan de carrière, et passe sa vie sur les routes. Multipliant les projets (Headwar, Les Morts Vont Bien, Roberto Succo, Yvette Corner But, Sultan Solitude, on en passe), il vivote dans cette interzone musicale qui est comme une grande famille de la débrouille, où la sortie d’une K7 ou d’un EP bandcamp est un événement en soi.

« Usé », son projet solo depuis 2011, sort aujourd’hui un album sur Born Bad, Chien de la casse. Sur la pochette, un van poussiéreux dans le demi-jour d’église d’une grange abandonnée, et des clébards résidents rassemblés à la hâte : rien n’est inventé. Pourtant, les couleurs sont chaudes, l’ambiance est détendue. Pas de misérabilisme. On envie presque celui qui, au centre de l’image, a la chance de se livrer quotidiennement à cette joie enfantine qui consiste à taper le plus fort possible, sur n’importe quoi, dans un lieu vierge au milieu des animaux. La musique d’Usé ressemble à cette free-party que l’on a cherché dans une nuit épaisse comme du goudron, au cœur de la forêt, en se fiant au grondement sourd qui semblait émaner du sol : sauvage et agressive, mais aussi familiale, accueillante, touchante dans son dépouillement. Plaisir d’abdiquer devant la toute-puissance de la transe, jouissance régressive des tambours qui foutent le bronx, ritournelles légères, entêtantes, textes rythmiques comme un poème Dada : tant pis pour demain, quand il fera jour, car tout ici tremble d’une excitation qui ressemble à la vie, et que l’on ne trouvera pas ailleurs.

Il y a sept titres sur Chien de la casse, dûment introduits par les grognements mauvais d’un bâtard ivre de haine, probable cerbère d’une caravane de dealer de meth dans l’Indiana. Sur six morceaux, Usé semble écrire une ode aux entrées par effraction dans les décharges pour aller cogner sur des bidons rouillés jusqu’à les crever. Seule « Sous mes draps » relève de la comptine triste, mais quitte toutefois les terres du réalisme social pour les hauteurs brumeuses du film d’horreur de fête foraine. « C’est si lisse » conclut l’album sur une alarme à incendie et des aboiements humains, dans une ambiance de messe noire saturée de backward tapes : le rêve prend fin dans le chaos, c’est bientôt le jour. La vraie violence commence. On se voit au squat’ la semaine prochaine.

Pierre Jouan