Terry Riley en interview"LSD Was A New Way Of Listening Music."

Diffuseur
Le Drone

Date
Avril 2016

Durée
7′

Réalisation
Olivier Lamm

Résumé
Prenez une feuille de papier et un crayon. Dessinez quatre points. Pensez à quatre oeuvres musicales fondamentales de la deuxième moitié XXe siècle, si possible de quatre familles musicales différentes (pourquoi pas le jazz, la musique contemporaine, le rock et la musique électronique). Tracez deux lignes droites – un peu comme La Monte Young préconisait de le faire dans sa fameuse Composition 1961– pour les relier en croix : il  y a deux chances sur trois pour que Terry Riley soit cette croix.
De la techno au rock psychédélique, de l’ambient au prog, l’invention musicale de Terrence Mitchell Riley a essaimé partout dans le monde, dans tous les genres, dans tous les esprits. Indissociable des autres Pères du Minimalisme américain (La Monte Young, Henry Flynt et les “tricoteurs” Steve Reich et Philip Glass) avec qui il partage quelques intuitions et dont il a souvent croisé les destins, il est celui qui a le plus conversé avec la pop, la contre-culture, la jeunesse et la Nuit des temps d’Afrique et d’Orient.
Il fait aussi partie des rares compositeurs du XXè siècle à avoir initié un nouveau paradigme musical, comprenant son propre régime créatif (l’improvisation autour de compositions-systèmes), ses propres modes d’écoute et sa propre révolution spirituelle.
Tout est parti d’une expérimentation sommaire avec un magnétophone et d’une idée simple comme une intuition d’enfant: que se passe-t-il quand l’on répète une phrase musicale ad libitum jusqu’à ce que sa forme et son intégrité musicale se disloquent dans le temps ? Et ces beautés irréelles qui apparaissent à l’esprit au bout de cinq ou dix minutes d’écoute attentive tels ces fantômes qui s’échappent de la neige dans un poste de télévision qu’on fixe des yeux trop longtemps, est-il possible qu’elles aient quelque chose à voir avec une dimension dissimulée du réel qui se cacherait de nos sens dans la confusion trop triviale du quotidien ?
Au coeur de la grande révolution psychédélique des années 60 et à contre-courant radical d’une avant-garde occidentale qui n’en finissait plus de tricoter sa complexité, Terry Riley a ainsi inventé avec In C puis son fabuleux “Time Lag Accumulator” (un dispositif électronique qui lui permettait de jouer seul des nuits entières sans filet) la musique à tripper ultime, sorte d’équivalent pop des musiques de méditation du monde entier qui a fait de lui le gourou musical d’une jeunesse hippie en quête de sens dans les dérèglements de ses sens.

Par un coup de génie marketing de son label Columbia, ses disques de musique infinie, impossible à classer dans les cases disponibles à l’époque (jazz, classique ou rock) et à consommer allongés sont surtout rentrés dans tous les foyers. A l’inverse de nombre de disques d’avant-garde devenus des classiques avec la postérité, A Rainbow in Curved Air, In C ou Persian Surgery Dervishes sont devenus des classiques de la contre-culture pop dès la fin des année 60, et n’ont pas traîné pour influencer la musique populaire (rock, psyché, prog) de leur temps.
Rien ne prédisposait ce fils de Marine né en Californie en 1935 à devenir l’artisant d’une révolution. Doux, modeste, bien éduqué, le rapport de Terry RIley aux avant-gardes classique ou jazz, découvertes chez son professeur de musique puis à l’Université de Berkeley, est le contraire de celle rageuse et déterminée de la plupart des innovateurs libertaires auquel son nom est souvent associé. Amateur de piano honky tonk et de Coltrane, de drogues naturelles et de liberté, Terry Riley a fait sa révolution en douceur en proposant l’équivalent musical le plus mélodieux et le plus limpide aux drogues psychédéliques au coeur du Summer of Love.
Ce n’est d’ailleurs pas par hasard que sa première oeuvre repertoriée, inspirée par les expériences électroniques de Richard Maxfield et le bruitisme de John Cage, s’appelle Mescalin Mix. Le destin musical de Terry Riley est aussi étroitement lié avec la musique classique indienne – celle du Pandit Prân Nath, avec qui il étudia la tradition Kirana Gharânâ du raga pendant trois décennies – qu’avec les psychotropes hallucinogènes, dont sa musique de flux, sans fin ni début, imitait plus ou moins consciemment, avec plus ou moins de précision les effets magiques repertoriés par les gourous Timothy Leary, Aldous Huxley ou Carlos Castaneda.
Cinq décennies d’activités et de contre-révolutions culturelles plus tard, que reste-t-il de l’héritage de Terry Riley ? Ses idées musicales, qui s’entendent autant dans le dernier Swans que le prochain James Holden, n’ont jamais été aussi présentes et n’ont jamais sonné aussi actuelles. La révolution spirituelle qu’il préconisait à demi-mots dans sa diction douce et ses improvisations utopistes, en revanche, n’a jamais été moins à l’ordre du jour qu’à notre époque de l’argent-roi et d’inversion des valeurs terminale. Comme il nous l’explique en toute quiétude dans l’entretien qu’il nous a donné à Paris à l’automne dernier, ce n’est peut-être pas si grave : les voies de l’univers ont des raisons qui dépassent largement les petits cycles de l’histoire humaine. A vous de décider si le fond de sa pensée est à ranger du côté d’un fatalisme bon ton, ou du désespoir profond.