James Ferraro en interview"A Shaman Telling Stories Of Creation."

Diffuseur
Le Drone

Date
Mars 2012

Durée
6′

Réalisation
Olivier Lamm

Résumé
Jusqu’à il y a peu, James Ferraro était un artisan noise “comme les autres”. Avec les Skaters ou en solo, sa vie artistique se déroulait dans les plis du tissus underground américain: concerts dans les caves décorées avec des teintures arc-en-ciel, sorties épidermiques sous des dizaines de pseudos en cassette, CD-R ou vinyle pressé à 150 exemplaires, articles très sérieux dans la presse spécialisée européenne. Comme il l’explique lui-même, la limite souvent ténue entre vivre et créer, jouer à la console et enregistrer un jam, n’existait proprement pas et le gamin s’exprimait indifféremment via les impros sur Casio, le texte ou la vidéo.

Petit à petit pourtant, quelque chose de plus singulier entama de se préciser dans les monceaux et monceaux de drones qu’il vendait à la sortie des concerts. Obsédé par les bas-fonds de la pop culture américaine (MTV tard le soir en 1987, le 11 septembre, la scientologie, les séries B de SF avec des cyborgs), le fameux “cauchemar climatisé” de la vie dans les suburbs et les résidus mémoriels de sa propre jeunesse, le gamin n’abordait frontalement aucune thématique, mais produisait une écume psychique bien plus concentrée que 99% de ses collègues obnubilés par les 80s.

Le journaliste britannique David Keenan (The Wire) ne s’y est pas trompé, bâtissant son fameux concept de pop hypnagogique sur une seule phrase de Ferraro dans laquelle il citait comme principale inspiration les souvenirs de sons entendus en sourdine depuis sa chambre d’enfants. Débordant de plus en plus nettement du carcan sound art pour frôler celui de la pop (voir le phénoménal Night Dolls with Airspray), Ferraro est devenu un moment une sorte d’Ubik de la musique de notre temps, inspirant par truchements une majorité du fameux “synth underground” (de Oneohtrix Point Never à une bonne partie du catalogue Not Not Fun), ce machin qui servait de sève aux blogs hipster et à feu Altered Zones, l’émanation pseudo souterraine de Pitchfork entre 2010 et 2011. Pour reprendre une dernière fois les paroles d’un confrère (Morgan Poyau de Vice France, pour ne pas le citer), “Tout Internet fait du Ferraro“.

Mais tout a subitement changé l’automne dernier avec la sortie sur Hippos in Tanks du doublon Condo Pets / Far Side Virtual. Arborant iPads et graphismes multicolores tout droit échappés de l’imaginaire visuel d’un col blanc de la Silicon Valley pendant la première moitié des années 90, ces deux propositions très étranges de postmodernité ambitionnaient cette fois le mimétisme clair et net plutôt que l’évocation impressionniste. Passionné par l’étrangeté totale du monde contemporain et plus particulièrement ce que les penseurs postmodernes (Baudrillard en premier) nomment l’hyperréalité, Ferraro s’est lancé dans la périlleuse entreprise de recréer en musique la vie dans ces lieux si similaires les uns avec les autres (Dubaï, les bars à smoothie, les Apple Stores) qu’ils semblent plus êtres des simulacres du réel que le réel lui-même.

Concept album moins fort par les discours qu’il engendre que par les effets qu’il produit sur l’esprit, dénué de toute plus-value critique, Far Side Virtual déborde bien sûr de toutes la complexité de notre temps, l’ambiguité y compris. Justement agacés et décontenancés par la précision et la force d’évocation prodigieuse du disque, une bonne partie des mélomanes auront ainsi confondu le geste et le fond, et achevé d’enterrer cette muzak 2.0. comme le foutage de gueule ultime de 2011. On adore le geste et le disque, mais on est bien trop paumé pour leur donner tort ou raison.

Apparemment tout content de son effet, notre brillant branleur ressuscité en simili Warhol des années 2010 est déjà ailleurs. Depuis quelques mois, il a plongé corps, âme et fringue dans Bebetune$/Bodyguard, projet hyper cryptique et complètement fondu dans Internet via lequel il revisite une partie des charts hip-hop r’n’b et déclare son amour sans faille pour les hummers, l’Antichrist et le gel silica, cette petite substance antihumidité qu’on trouve dans les boîtes à chaussures et les colis Amazon. Il vient également de sortir sur Hundebiss Records Rapture Adrenaline, son premier “long-métrage” entièrement réalisé en collage qu’il envisage pourtant comme le blueprint d’un film d’action dont il serait le héros. On vous laisse juger sur la pièce de la sauce à laquelle vous voudrez bien manger l’animal.