Fat White Family en interview"Making A Big Lump Of Shit Smell Like Roses."

Diffuseur
Le Drone

Date
Mars 2016

Durée
12′

Réalisation
Marc-Aurèle Baly

Résumé
Fruit de la rencontre de deux défroqués de la scène londonienne de la deuxième moitié des années 2000, Lias Saoudi et Saul Adamczewski, Fat White Family s’est rapidement extirpé de son sillon indie en misant tout sur la confrontation. Performances scéniques à la limite du shock rock (bite à l’air, caca sur la figure, ce genre de choses), chansons garage/post-punk titubantes et vitriolées en descendance directe des hérauts bilieux The Fall ou Country Teasers, paroles à l’avenant (viol, pédophilie, hédonisme occidental) deviennent rapidement la marque de fabrique du groupe, sans que ce dernier ne se départisse d’un humour grimaçant ni d’une sorte d’érotisme étrange, poisseux et fangeux, dont l’arme de séduction se situerait paradoxalement dans sa laideur même.

Ajoutons à cela la propension du groupe à toujours aller plus avant dans la dégueulasserie et la crasse (leurs odeurs corporelles allant jusqu’à se faire refuser des deals de maison de disque, selon la légende), un line-up modulable (la section rythmique sautant régulièrement) dû principalement aux personnalités borderline de ses membres (avec cette fameuse formule de Lias : “ce groupe souffre de soucis psychologiques profonds bien plus graves que la drogue”), une manière d’alimenter chez l’auditeur une forme de fascination morbide pour un groupe constamment au bord de l’implosion (et qui serait passé à deux doigts de jeter définitivement l’éponge en fin d’année dernière, suite aux problèmes de Saul avec l’héroïne), avec en prime une conscience de classe qu’on croyait définitivement abandonnée par la plupart des contemporains. Bref, à l’apparition du groupe sur le circuit il y a trois ans, on s’était dit qu’on tenait enfin probablement là un idéal de groupe de rock, dissolu, dangereux, impudique et impudent.

Malgré tout, Fat White Family s’est toujours défendu de se faire le porte-étendard d’une quelconque transgression. Après un passage en désintox’ pour Saul, et avoir sorti en janvier un second album, Songs for Our Mothers, à l’atmosphère lourde, moite et maladive (et accessoirement poussé les curseurs de la provocation dans le rouge avec des chansons qui parlent de la relation abusive entre Ike et Tina Turner ou d’une possible romance entre Hitler et Goebbels), le groupe passait récemment par la Maroquinerie et offrait un spectacle à la hauteur du phénomène : en jouant n’importe comment (mention spéciale à Nathan, frère de Lias, qui maltraitait plus qu’il ne jouait du clavier, en n’hésitant pas à utiliser les coudes ou la tête), en s’enfilant entre les chansons des rasades de vin, de bière et de Jägermeister, bref, en tenant à égale distance une certaine idée de la classe débraillée et du battage de couilles le plus complet.

Quelques heures avant, on s’entretenait avec Lias Saoudi, frontman au magnétisme certain qui nous est arrivé comme une fleur avec deux bonnes grosses heures de retard (juste le temps pour galérer à trouver un endroit où tourner l’interview, entre les balances et tout le reste – on a fini par opter pour la billetterie de la Maroquinerie), avec une dégaine et l’air satisfait du clochard céleste qui vient juste de faire ses emplettes chez Guerrisol, en nous faisant remarquer que, quand même, le verre de vin qu’on venait de lui servir était “bien petit” – en français dans le texte.

On a un peu trop souvent rangé Fat White Family dans la catégorie des provocateurs drogués à la direction musicale hasardeuse, des marchands de gimmicks à la fonction de défouloir mais à la puissance de tir relativement restreinte. Seulement, lorsqu’on discute deux minutes avec Lias Saoudi, on se rend compte que l’attrait de son groupe n’est pas tant à chercher dans un quelconque idéal de subversion que dans ce qu’il a à nous dire sur l’état du monde qui nous entoure, avec une force d’évocation étonnamment puissante malgré l’ironie prégnante. De l’inanité de la scène musicale actuelle à la conscience sociale qui n’en finit plus de s’amenuiser, du sentiment d’apathie généralisé à la droitisation effrayante d’une partie du monde occidental, de la nécessité de se serrer les coudes entre déclassés au besoin d’exorciser le mal en en revêtant les attraits, Fat White Family apparaît ainsi, l’air de rien, comme le dernier grand groupe politique de notre époque. Le tout sans rien prêcher, ni moraliser, avec l’intelligence de grossir le trait pour mieux révéler les contours absurdes d’un environnement mortifère.

Taxer le groupe d’immobilisme musical n’est alors plus simplement hors de propos, mais relève quasiment du contre-sens. Car Fat White Family a depuis longtemps fait de la moisissure le point névralgique de son propos. Peu de groupes montrent aujourd’hui aussi bien l’abandon des couches populaires par l’appareil politique, la déliquescence de l’idéal punk de classe au profit de l’individualisme normalisé, le tout, il faut le dire encore, sans l’air de rien: juste en se badigeonnant le visage du tas de merde qui nous entoure et en tendant un miroir déformant et rigolard à une société malade qu’on n’a même plus peur de qualifier de fascisante.